5/ Eloi Rodolausse – Nécrologie

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Eloi Rodolausse – Nécrologie

     

Texte transcrit

La Petite Gironde du 26 décembre 1941

LES « GRANDS CŒURS »

UN SERVITEUR DU BIEN COMMUN : M. ÉLOI RODOLAUSSE INVENTEUR DU  »SERVO-FREIN »

Qui a gardé le souvenir, plus ou moins embué, de ses premières lectures d’enfant, et, notamment, de ces récits colorés de sentiments naïfs où étaient contés les heurs et malheurs des inventeurs de génie ?

Ils nous apparaissaient alors émergés des brumes lointaines de l’Histoire, escortés d’un attirant hétéroclite de cornues, d’alambics et de massifs manuscrits. Aussi nos jeunes imaginations, inspirées par les enluminures que brodait le ton du récit, les avait-elle dotées d’une auréole de légende. Mais, sous l’empire de cette impression durable, comment croire que la somme des luttes, des travaux et des peines dont ils nous ont légué l’exemple, amer et magnifique à la fois, n’ait pas été consumée à l’aube des « Temps nouveaux » ?

Cependant, les mêmes trésors de qualités, dont l’un des plus étincelants joyaux est la ténacité, sont plus que jamais requis des inventeurs modernes, qui connaissent également l’âpreté des luttes, l’incompréhension de l’esprit de routine et les obstacles dressés dans l’ombre par la coalition des intérêts en jeu. Le cours laborieux et passionné de leur vie se révèle aussi beau que celui de leurs antiques devanciers, surtout lorsque celte existence est animée d’un idéal élevé.

C’est un de ces hommes, dont les recherches désintéressées n’ont eu d’autre but que d’améliorer les conditions de travail de ses contemporains et de préserver des existences humaines, que la petite cité médiévale de Saint-Antonin a conduit à sa dernière demeure aux premiers jours de décembre.

Nous avons nommé M. Éloi Rodolausse, l’inventeur du « servo-frein ».

Fils de paysans, ayant hérité de sa race les robustes qualités qui devaient lui permettre d’entreprendre sa rude tâche d’inventeur, M. Éloi Rodolausse naquit en 1866, à Féneyrols, au hameau de Carrendier, où son père avait créé une fonderie. La vivacité d’esprit dont il avait toujours témoigné ne devait pas tarder à se manifester d’une manière féconde. Il avait à peine dépassé la trentaine lorsqu’il inventa, pour les batteuses, ces élévateurs de paille dont l’utilisation s’est généralisée depuis dans l’ancien et le nouveau monde. Le culte qu’il professait pour la paysannerie française et auquel devait demeurer attachée toute sa vie. dans un sentiment de filiale gratitude, l’avait prédisposé à orienter son activité inventive vers le monde des campagnes. Mais la catastrophe de chemin de fer qui se produisit à Melun en 1913 et le macabre bilan qu’elle dressa devaient avoir une répercussion décisive sur le cours de secs recherches.

Ce drame avait trop frappé les imaginations pour que, dans sa sensibilité, M. Éloi Rodolausse n’en fût pas lui-même follement ému. Toutes ses préoccupations n’eurent plus dès lors qu’un dessein : celui d’assurer la sécurité des voyages par voies ferrées et de protéger ainsi de nombreuses vies. Dans les recherches qu’il entreprit à cet effet, il ne ménagea ni son temps, ni ses ressources personnelles.

Sa dernière invention — les élévateurs de paille — lui avait assuré une grosse aisance et permis de s’installer à Saint-Antonin. La possibilité lui était offerte de vivre confortablement tout en dirigeant son usine. Mais le génie de l’invention était Ià qui, inspiré par des sentiments de haute noblesse à l’égard de l’humanité, l’incitait à poursuivre ses recherches. La fertilité de son esprit, jointe à une conception exemplaire du devoir, lui imposait ce comportement. M. Éloi Rodolausse continuait de « servir » afin de faire bénéficier de ses dons la communauté humaine. Est-il plus belle illustration de la parabole des talents ?

Avant qu’éclatât la guerre précédente, M. Éloi Rodolausse était parvenu à découvrir la solution cherchée. Il fit même construire, en miniature, l’appareil qu’il venait d’inventer. Après l’armistice de 1918, il reprit ses travaux afin de porter cet appareil à son point extrême de perfection.

Quel est ce dispositif de sécurité ? En nous gardant bien d’entrer dans des détails techniques, nous dirons qu’il est constitué de telle sorte qu’il complète les mesures de sécurité prises par le mécanicien. Mais ce serait amoindrir sa valeur que de ne pas préciser qu’il s’agit dans la mesure où le mécanicien n’agit pas.

« Sa sécurité, écrivait encore l’an passé, M. Éloi Rodolausse, est absolument automatique toutes les fois que le « crocodile » fonctionne en tout les fois, également, que le déclencheur fonctionne, qu’il soit actionné par un signal de la voie ou par une tige légère, s’agrafant au rail.

En outre, le contrôle automatique et précis qu’il fournit stimule la vigilance du mécanicien. On conçoit donc l’importance du complément de sécurité donné par l’appareil, complément qui se conjugue avec la vigilance du mécanicien, maintenue intacte par le contrôle automatique. »

Et l’inventeur de compléter lui-même ainsi cette présentation :

« L’appareil est d’une simplicité remarquable et donne seul, sur la machine ou sur l’automotrice, la sécurité du train par des moyens préventifs, c’est-à-dire qu’au moment du danger il contrôle l’action normale du mécanicien et lui laisse toute liberté pour agir suivant les circonstances, faute de quoi le train s’arrêterait automatiquement. Toute tentative pour empêcher l’action de l’appareil est impossible. »

En 1920, le Comité consultatif de l’exploitation technique des chemins de fer admit l’appareil aux essais. Huit ans plus tard, une délégation des cheminots et des postiers demandait à la commission des travaux publics de la Chambre l’application à tous les réseaux de l’appareil Rodolausse. Le 30 juin 1930, le parlement accordait un crédit d’un million pour que des essais en grand soient effectués. Enfin, en juillet 1937, après des pourparlers et des péripéties sans nombre, la commission, qui avait été constituée à cet effet, décidait de procéder à une dernière série d’essais. Mais, en même temps, on faisait connaître à M. Rodolausse qu’il n’y avait pas de crédit nécessaire pour les tenter… Et les choses continuèrent de « traîner en longueur » jusqu’en 1939.

Ainsi, après plusieurs années de recherches, et alors que l’appareil avait attiré et retenu l’attention des experts, M. Rodolausse avait dû affronter la lutte contre les hommes après l’avoir soutenue contre la motrice !

Ce bref historique, brossé à traits hâtifs ne saurait donner qu’une idée incomplète de ce combat où d’autres auraient épuisé les ressources de leur patience. Mais, convaincu de l’immense portée de son invention, M. Rodolausse était guidé par l’unique, constante et généreuse pensée d’en faire profiter la collectivité entière. Il voulait avoir la certitude que le bienfait qu’elle apportait ne serait point détourné.

À la multiplicité des voyages et des démarches que ce combat lui imposait, il dépensa des millions. Mais son intérêt était si éloigné de ses soucis qu’il repoussa une offre d’achat se chiffrant à quelque seize millions. Seul, le but à atteindre lui importait.

Ces trente années de lutte auront-elles la conclusion qu’elles méritent ? M. Georges Rodolausse, fils de l’inventeur, qui s’est attaché à l’œuvre de son père avec un sentiment d’émouvante piété, se propose de la leur donner lorsque les circonstances le permettront.

« Point n’est besoin de réussir pour persévérer », disait le Taciturne*. On aimerait, cependant, que la réussite vienne finalement joindre son fleuron à celui de la persévérance, pour le plus grand bien de tous les hommes.

Henri MASSON.

Éloi RODOLAUSSE. (Photo archives. U.I. 235.)

* la citation est attribuée à Guillaume de Nassau, prince d’Orange (dit également Guillaume le Taciturne).